« La route rattrape ce que le rail a déjà »

Interview de Jürg Röthlisberger

« La route rattrape ce que le rail a déjà »

16 décembre 2016 agvs-upsa.ch - Le 12 février prochain, le peuple suisse se prononcera sur le Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (FORTA). Jürg Röthlisberger, directeur de l’Office fédéral des routes (OFROU), exige que la route et le rail soient sur un pied d’égalité.

Monsieur Röthlisberger, il y a six mois à peine, 70 % des électeurs et tous les cantons ont rejeté l’initiative « vache à lait ». Les opposants du FORTA prétendent que ce fonds serait lui aussi une sorte de « vache à lait ».
Jürg Röthlisberger: Et où est le problème ? Si le FORTA est en quelque sorte une « vache à lait », c’est parce ce que c’est nécessaire. Notre réseau de routes nationales n’est pas un système interurbain comme en Amérique du Nord par exemple, mais plutôt un système de drainage des villes et des agglomérations. Sur plus de 1800 km d’autoroutes, nous avons 440 sorties, soit une tous les quatre kilomètres. C’est un record mondial absolu ! Mais le système est dans une impasse et sujet à de nombreuses erreurs. Nous le constatons chaque soir : il est devenu impossible de sortir des villes, que ce soit Lucerne, Zurich, Genève ou Lausanne. Nous avons perdu un bien dans lequel nos clients, les usagers de la route, ont investi 100 milliards de francs au total depuis 1960 : la fiabilité et la prévisibilité des temps de parcours. Le FORTA nous permettra d’investir dans les autoroutes et surtout, d’accroître les capacités, et il aidera les agglomérations et les villes, qui dépendent de l’effet drainant des routes nationales.

Qu’est-ce qui distingue le FORTA de la « vache à lait » ?
La « vache à lait » n’était pas un système aussi bien étudié que le FORTA. Elle aurait créé un trou de 1,5 milliards de francs par an dans les caisses de la Confédération. Avec le FORTA, nous ne parlons plus que de 650 millions par an au maximum. Ces fonds ne proviennent pas d’impôts, mais de recettes de la route qui étaient jusqu’à présent versées dans les caisses de l’État et qui profiteront désormais à la route.

Le Parlement a longtemps débattu pour mettre le FORTA sur pied. Avons-nous maintenant la meilleure solution ou juste un bon compromis suisse ?
Le FORTA est la bonne réponse à plusieurs questions. L’équilibre entre les recettes et les dépenses est constamment menacé : l’entretien coûte plus cher car les routes nationales vieillissent. À titre d’exemple, la moitié de nos quelque 3500 ponts ont aujourd’hui au moins 50 ans. Dans le même temps, la consommation des véhicules baisse. Cette évolution est positive sur le plan écologique, mais problématique pour le financement, car celui-ci repose sur l’impôt sur les huiles minérales et la surtaxe sur les huiles minérales et donc, sur la consommation. Aujourd’hui, en plus d’être très complexe et peu transparent, le financement de nos infrastructures routières n’est plus assuré. Et il comporte des erreurs grossières systématiques.

Par exemple ?
Si des travaux coûtent moins cher que prévu suite à un appel d’offres, l’économie réalisée va dans les caisses de la Confédération. L’automobiliste n’en bénéficie pas. Il en va tout autrement pour le rail. Celui-ci dispose déjà d’un fonds d’infrastructure. La route rattrape donc ce que le rail a déjà. L’égalité de traitement des moyens de transport constitue un argument essentiel en faveur du FORTA.

Que se passera-t-il si le FORTA est rejeté ?
À l’heure actuelle, le budget alloué à l’élimination des problèmes d’engorgement est plafonné à 5,5 milliards de francs. Cela nous permet seulement de financer les projets très urgents, mais pas le quatrième tube du tunnel de Baregg ni la totalité de la rocade de Genève. Si le FORTA n’aboutit pas, l’écart entre recettes et dépenses se creusera et nous devrons fixer des priorités. Celles-ci sont claires : premièrement, l’entretien courant, soit la disponibilité quotidienne, deuxièmement, les travaux de gros entretien, soit la disponibilité à long terme, et en dernier, l’extension des capacités. Si nous n’assurons pas le financement, nous ne ferons bientôt plus qu’entretenir, et même de manière insuffisante à terme.

Le FORTA vise à éliminer les goulets d’étranglement en construisant plus de voies. Des systèmes de circulation intelligents ne seraient-ils pas aussi utiles ?
Il est incontestable que nous n’arriverons à rien sans surfaces de transport supplémentaires. Mais nous devons aussi apprendre à mieux utiliser ce que nous avons déjà. Ces prochaines années, nous convertirons 170 km de bandes d’arrêt d’urgence. Le système de gestion du trafic présente lui aussi un potentiel. Je pense ici à des systèmes de compte-gouttes ou à une harmonisation de la vitesse (limitation à 100 ou 90 aux heures de pointe). Je place également beaucoup d’espoir dans l’intelligence de la mobilité : des véhicules autonomes ou partiellement autonomes qui nous permettraient de réduire les distances de sécurité.

La tarification de la mobilité n’est pas d’actualité ?
Il s’agit d’une idée visant à lisser les pics de circulation. Mais elle est assortie d’un prérequis non négociable : le concept doit s’appliquer à toutes les formes de transport. Il ne s’agirait donc pas de « road pricing » mais de « mobility pricing » ! Aujourd’hui, le taux d’occupation des voitures suisses est d’à peine 1,1 personne aux heures de pointe. Les transports publics font mieux. Ils comptent en places assises occupées et atteignent parfois un taux d’occupation de plus de 100 % aux heures de pointe. Nous parlons d’embouteillages et de goulets d’étranglement sur les routes, mais nous oublions que chaque véhicule peut encore accueillir 2,5 à 3 personnes. Nos efforts doivent aussi viser à accroître ce taux d’occupation aux heures de pointe. Je place beaucoup d’espoirs dans les plates-formes de car-sharing et de car-pooling, et la tarification de la mobilité peut favoriser ces nouvelles formes de déplacements. Nous aimons nos clients, nous sommes des fans de la route et des mordus de voiture mais si nous voulons le rester, il nous faut reconnaître les faiblesses du système. Et ce taux de 1,1 personne par véhicule aux heures de pointe est insuffisant.

Le fait est que les Suisses préfèrent être seuls en voiture. Ils écoutent de la musique, personne ne les dérange. C’est leur espace de liberté...
Ce point est important. Le rapport à la voiture est émotionnel. Malgré la mode de la mobilité intelligente et de la conduite autonome, nous devons admettre que nous aimons conduire nous-mêmes. Le message de l’OFROU est pourtant simple : faites-vous plaisir au volant, mais de préférence pas le matin entre 6 h 00 et 8 h 00 ! C’est tout.

Plus d'information sur FORTA il y a ici!

 

 

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